Bernard Grasset Editions OVADIA 2021
Nietzsche et Pascal, deux philosophes singuliers qui occupent une palce à part dans l'histoire de la philosophie. Deux penseurs, adeptes de l'écriture fragmentaire, au style volontiers poétique, qui, parfois voisins dans la forme et par certaines intuitions, se sont orientés dans des directions radicalement opposées. En traçant un constant parallèle entre Nietzsche et Pascal à partir des différents visages revêtus par leurs pensées respectives, cet essai tente d'explorer, prenant appui sur les textes, la marque propre de leur interprétation de la vie, de l'existence humaine. Mettre en évidence deux regards posés sur le monde, le temps; l'être, et esquisser les objections qu'aurait pu formuler l'auteur des Pensées à l'auteur d'Ainsi parlait Zarathoustra.
Au centre de la philosophie de Nietzsche et de Pascal demeure la question de l'homme et celle de Dieu. Le premier annonce le surhomme, le second ne cesse de souligner l'étrange alliance de misère et de grandeur en l'homme. Nietzsche, le plus grand penseur athée, proclame la mort de Dieu, Pascal, le plus grand penseur croyant, éveille au Dieu caché. Et si derrière leur confrontation se jouait notre destin...
Bernard Grasset et philosophe, traducteur et poète. auteur d'essais et d'articles sur Pascal, il s'est attaché à mettre en contrepoint sa pensée avec ce qui fonde (l'Écriture) ou l'illustre (la peinture de Rouault). en la confrontant ici avec la pensée de Nietzsche, il tente d'éclairer à partir du plus éloigné.
Extrait
Nietzsche et Pascal, frères ennemis, tous deux issus de la religion judéo-chrétienne, sont deux auteurs en lien, au long de leur œuvre comme au plus intime de leur être, avec le christianisme. L’un veut de plus en plus l’abattre définitivement, l’autre cherche à le renouveler, le revivifier pour que tout chrétien soit un parfait chrétien. Ils sont les plus lointains mais en même temps une forme d’indépendance d’esprit, un certain art d’écrire où se mêlent sentences, poésie et pensée les rapprochent. En un sens Nietzsche c’est celui que Pascal aurait pu être s’il n’avait pas eu la foi, et Pascal celui que Nietzsche aurait pu être s’il avait eu la foi. Les contraires se ressemblent parfois mystérieusement. Sans Pascal y aurait-il eu Nietzsche ? Tous deux avaient l’esprit assez fort pour ne pas prendre comme argent comptant tout ce que le commun des mortels tenait pour évident. Pascal avait ses idées de derrière la tête. Nietzsche exhorte à une lucidité totale. Ses attaques et ses dénonciations sont trop souvent empreintes de démesure mais certaines de ses critiques permettent de ne pas oublier ce qu’il peut y avoir de trop humain dans nos convictions. La foi qui surmonte le nietzschéisme est une foi purifiée, sans naïveté, affinée, plus profonde. La critique acerbe conduit le croyant qui sait résister au cœur même de sa foi. Hors de tout ressentiment, de tout esprit de vengeance. Comment l’homme peut croire en Dieu ? Telle est la question qui ne cesse de hanter Nietzsche. Comment l’homme peut ne pas croire en Dieu ? Telle est la question qui habite l’auteur des Pensées. La philosophie de Nietzsche, comme une théologie inversée, sécularisée, aime à détourner le sens des notions bibliques, théologiques, pour en faire des armes contre l’idéalisme et le judéo-christianisme. Cette philosophie reste l’héritière des sophistes par son recours constant à la nature, son immoralisme, son institution de l’homme, selon les vues de Protagoras, comme mesure de tout.
Nietzsche et Pascal. L’incroyant par excellence, le croyant par excellence. Et si dans le débat sans fin entre ces deux penseurs décisifs se jouait le destin de l’Occident ? Contre l’économie de la volonté de puissance se dresse l’humble commandement d’aimer. La volonté de puissance ou l’amour, tel est le choix entre Nietzsche et Pascal. Dionysos ou la Croix. La puissance ne conduit-elle pas à la mort et l’amour ne mène-t-il pas à la vie ? L’apologie de la volonté de puissance a pour pendant un anti-humanisme, met l’humanité même de l’homme en péril. De l’ordre de la charité au contraire peut naître un humanisme fondé sur la vérité. Un monde sans éthique est un monde qui chute de plus en plus vers l’abîme. Un monde qui retrouve une éthique de l’amour, dans l’alliance de la terre et du ciel, est un monde sur lequel se dévoile un horizon de plénitude. La civilisation artiste, si riche de possibles, ne saurait recevoir de sens que comme civilisation de l’amour. Sur les eaux sombres et tumultueuses de la décadence peut se lever le soleil pur et inoublié de l’espérance.
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