Voyager c’est apprendre à mourir. Les mille et une morts d’Alexandra David-Neel, Lyon, Éditions Fage, 2020. 95 pages.
Pourquoi j’ai écrit ce livre
Les circonstances l’ont voulu ainsi, et j’ai été l’ouvrière d’un projet qui ne cesse depuis lors de porter ses fruits. Il s’est d’abord agi de rendre hommage à Alexandra David-Neel pour le 50° anniversaire de sa mort et la Mairie de Digne, sachant mon intérêt pour le bouddhisme et pour la « première bouddhiste » de France, m’avait invitée à participer à cette célébration. Il me sembla donc aller de soi que je parlerai de la mort du point de vue qui fut celui de l’intrépide exploratrice, disciple du Bouddha dont les enseignements l’accompagnèrent tout au long de ses voyages risqués dans les Himalayas. Car la vie comme la mort furent pour elle inséparables du voyage dont elle disait qu’il est « la suprême jouissance que puisse offrir la vie. »
Un éditeur s’intéressa à ce sujet, et les « mille et une morts d’Alexandra David-Neel » virent bientôt le jour et trouvèrent leur place dans une collection dont le titre funéraire (Dilaceration corporis) abrite en réalité des essais de tonalités très diverses. Le choix a été fait d’un ton délibérément narratif qui épouse les méandres d’une vie aventureuse au cours de laquelle elle frôla plus d’une fois la mort, et les sinuosités d’une intelligence toujours en éveil. Quoi qu’elle ait entrepris, David-Neel a en effet vécu les yeux grands ouverts, en quête d’un Savoir libérateur qui transcende l’opposition de la vie et de la mort. Elle fut en ce sens la « découvreuse d’horizons » dont a si bien parlé Gabriel Germain dans Le regard intérieur.
Extrait du livre
Cet autre regard sur la mort, Alexandra se l’est forgé durant ses voyages au cours desquels elle est parvenue à mener avec bonheur une vie de renonçante qui n’a besoin de presque rien, de chemineau qui vagabonde sur des voies souvent impraticables, et d’anarchiste qui fulmine quand on lui barre le chemin. Mais l’ « au-delà » demeura son unique horizon, sublimé par la vision bouddhique qu’elle n’a cessé de cultiver depuis le jour où elle rendit en 1911 visite à Sri Aurobindo « dans la maison silencieuse de Pondichéry où passait le souffle des choses éternelles, où dans le soir paisible, près de la fenêtre ouverte sur les jardins, un peu funéraires, de cette ville déchue, nous regardions par-delà la vie et la mort[1]. » Telle est la vraie libération, elle en a la conviction, que promet le « regard en-dedans » du Bouddha qui apprend à voir autrement, à voir vraiment ; la « vision pénétrante » (tib. lhag thong) permettant au regard de s’émanciper de l’opposition vie/mort et d’accéder à un « par-delà » libérateur : « Les Sages n’accordent pas à la mort l’importance que lui prête le vulgaire et il y a longtemps que celui dont la forme visible va disparaître a contemplé, par-delà les bornes de la vie et de la mort, la véritable face de l’existence[2]. »
Voyager c’est apprendre à mourir, p. 33-34.
[1] Corrrespondance avec son mari, Paris, Plon, 2004, p. 95.
[2] Le Bouddhisme du Bouddha, Paris, Pocket, 1994, p. 44.