Un jardin sans clôture — Jean Prod’hom
Petite bibliothèque de spiritualité, Labor et Fides, juillet 2024
Une lecture de Christine Ray (août 2025)
Il est des livres qui vous trouvent au bon moment, pour redonner espoir et courage, lorsque le monde est trop brutal, et que tout chemin semble bouché. Un jardin sans clôture, de Jean Prod’hom, ni roman ni biographie, mais plutôt essai poétique et philosophique, est de ceux-là. J’y ai trouvé une source de réconfort, inattendue, comme de toute belle surprise littéraire.
En quoi la vie et l’œuvre du pasteur John Nelson Darby, né à Londres en 1800, ou celle d’Alexis Muston, son contemporain, pasteur suisse exilé dans la Drôme, pouvaient-elles me saisir aujourd’hui ? Retraçant leurs vies singulières, l’auteur explore deux façons radicalement opposées d’être spirituellement au monde et de penser la vie commune.
Si ces personnages oubliés ont vécu au XIXe siècle, l’on identifie aisément les héritages contemporains de l’un et de l’autre.
L’auteur nous fait suivre d’abord le chemin du premier, austère fondateur d’une Assemblée protestante dissidente, adepte du règne de l’Esprit Saint et d’une stricte lecture des Écritures. Au fil des nombreuses créations d’Assemblées de frères, prisonnier de son succès et de sa vision de la vérité, Darby devient de plus en plus autoritaire, et maintient ses membres dans une vision triste de la religion.
Sans aucun doute, les ingrédients qui ont transformé sa recherche personnelle en une forme d’emprise spirituelle ont bien des équivalents dans le monde contemporain, et l’art de Jean Prod’hom est d’identifier l’impasse totalitaire sans jamais tomber dans la morale.
En contrepoint, le second, simple pasteur exilé à Bourdeaux, dans la Drôme, suit un sentier modeste, n’impose aucune vérité, se tient à l’abri des querelles de dogme, et trace une voie qui ouvre largement la porte aux différences, au doute et à la liberté de conscience.
Car Alexis Muston, qui n’a fondé aucune Église, aucune école de pensée, n’a produit aucun ouvrage savant, a fait le choix de vivre simplement, attentif aux hommes et au vivant, pasteur de villages, et parcourant aussi à pied des pays, traversant les frontières de France, de Suisse, d’Angleterre ou d’Allemagne.
Son journal, habité par la fraîcheur des sources, la joie de la marche à travers paysages et montagnes, les rencontres aussi bien de savants que de modestes paysans, est pour le lecteur comme pour l’auteur qui s’y est abreuvé, une source : un nous est possible, loin des vérités imposées, des exclusions, des dogmes, des chapelles ennemies, des débats dérisoires.
Certes, ces vies solitaires occupent peu les médias, mais l’auteur, qui a autrefois fréquenté une assemblée darbyste, indique là, sans optimisme naïf, une voie réparatrice, poétique, capable de commun, à l’écoute de la vie vivante.
La vie s’y déroule modestement, sur une terre à partager, entre solitude et relation, dans un jardin sans clôture.
Christine Ray