Ce rictus satanique l’avait atteinte au plus profond d’elle-même. Il s’était peint sur son visage alors qu’elle quêtait de lui sa délivrance. Elle avait poussé un soupir semblable à une plainte. Que lui reprochait-il ? Il avait détourné le visage. Qu’espérait-elle encore de cet homme ? Retrouver leur complicité, les mots échappés dits ensemble, leur tendresse, les élans irrépressibles de l’un vers l’autre ? Trente ans de vie commune et voilà qu’il la quittait sans un regard en arrière, les mains dans les poches, comme on sort d’une impasse. Serait-il parti pour une autre qu’il n’aurait pas recouru à cette fuite aveugle, son rire résonnant derrière la porte refermée, un rire aigre, cruel, qu’elle ne lui connaissait pas. Elle ferma les yeux. En avaient-ils partagé des rires de connivence, d’exultation devant le ciel doré d’un soleil couchant, d’attendrissement au vu destout-petits qui leur naissaient, de soulagement à son retour, dans le pardon donné-reçu, enlacés comme le lierre à son tronc ! Mais ce rire-là, ce rire sournois lancé hors de son regard, était de rupture, d’exclusion. Il moquait leur amour, en sectionnait la tige montée drue, jour après jour, elle fidèle à son côté. Sur ce palier d’immeuble où il venait de disparaître, la sensation d’étouffer lui fit porter les mains à la gorge. Sa mince silhouette vacilla un instant au bord du gouffre de l’escalier. L’image de son corps écrasé trois étages plus bas la retint, et la pensée du dégoût qu’un tel spectacle lui inspirerait. Elle ricana « Qu’il aille au diable ! » et sa voix se perdit en échos « diable, diable » dans la cage vide... Le désespoir l’envahit. En l’envoyant au diable, ne venait-elle pas de se condamner elle-même à ne plus jamais rire avec Dieu ?
Véronique Auzépy-Chavagnac
Aguts, 7 octobre 2025