Elle vit dans la rue
Je la salue
elle ne répond pas.
Jamais.
Elle est assise, le dos calé contre le mur, près du DAB du Crédit Lyonnais, ses bras enserrent ses genoux, elle se tient.
Elle scrute. La ville, les corps, à hauteur de trottoir, elle mate.
On est regardés.
Elle ne demande rien.
Ses cheveux en bataille, de la paille. Sa bouche évidée de tout marmotte une sorte de boue et pousse des bouts de récits brefs et rauques, on rit jaune.
Psaume de pythie.
On baisse les yeux.
On est regardés.
Elle se rit de nous.
Avec son amie au visage de bonze, elles se disputent et s’adorent, l’une épouille la tête de l’autre ou lui fait le guet dans l’impasse pour pisser en paix.
Les jours de pluie, sous un amas de parapluies et de bâches enlacés, on la voit marmonner, ses lèvres valsent autour de sa bouche d’ombre et crachent leurs averses de fiel.
Brusquement, elle surgit de son igloo de plastiques et à nous s’adresse, elle vocifère, elle est en colère.
Elle profère : Allez ! Allez, plus vite ! plus vite ! le patron vous attend !
Les jours de soleil, son visage dur, rond et tanné, luit et rutile, le bouclier d’Achille
elle le tend à son Dieu, ferme les yeux
ses bras esquissent une danse et ses doigts noirs étalent les plis de sa robe pourrie
elle s’approche de nous et nous, notre dignité
On presse le pas.
Elle s’approche très près : Dansez ! Mais dansez ! Bon sang de bon Dieu, dansez ! Il fait tourner la Terre, ne voyez-vous pas qu’elle danse ? Dansez ! Un pas de danse et vous serez sauvés !
Karima Berger
23 septembre 25