Tribune publiée dans La Croix du 10-11 novembre 2012, signée par Colette Nys-mazure, écrivain, membre de l'association des Ecrivains croyants, membre du jury du Prix des Ecrivains croyants.
"Pas un jour sans une ligne. Tant d'autres l'ont assuré avant moi. J'écris chaque jour (ne serait-ce que dans ma tête !) comme un musicien ou un sportif s'entraîne quotidiennement. C'est une forme d'ascèse en vue d'une maîtrise du matériau propre à l'écriture : la langue maternelle. C'est un travail aussi, au sens où une femme met au monde son petit dans la peine et le plaisir. Un livre prend du temps : pas plus de fast-book que de fast-food. Avec Camus je pense que mal nommer une chose contribue au malheur du monde. Le danger nous guette de restreindre le vocabulaire, de le formater, de le réduire sans jouer du moiré de la langue, de ses pouvoirs.
Être écrivain, c'est tenter de saisir au-delà du visible l'invisible que nous négligeons, entraînés par la vie courante, usés par la routine. L'invisible en nous, puisque l'écriture creuse l'obscurité intérieure, ainsi que le suggère Henry Bauchau. L'invisible autour de nous : débusquer, sous l'insignifiance apparente, la valeur, la saveur des êtres et des choses. Dans le sillage de Baudelaire et Rimbaud, l'écrivain se fait voyant pour accorder toute son attention aux signes et aux prodiges.
Être écrivain, c'est habiter les vastes territoires du silence intérieur, les espaces gratuits ouvrant aux partages essentiels alors qu'autour de nous tout conspire à la consommation immédiate, à la peur panique, au vertige du vain.
Être écrivain, c'est tout à la fois une chance et une responsabilité. Le bonheur de pouvoir exprimer, s'exprimer, imaginer, composer en recourant à des outils modestes : un papier, un crayon, un ordinateur. La responsabilité : d'oser dire, de témoigner, d'engager sa parole non seulement volante mais fixée, en s'exposant dans tous les sens du mot, risquant quolibets, contrefaçons, détournement de sens.
J'écris pour dénoncer, protester, prêter voix aux muets méprisés. En quête ardente et soutenue du mot juste. J'écris contre le chaos, l'informe et le confus ; signature dérisoire au bas du texte, du fragment tissé dans la trame. Contre l'absence, le dérisoire et l'amnésie, je creuse et j'édifie, je capture, je captive ; j'enregistre, je transcris et je célèbre. Je rature et je réécris. Palimpseste, grimoire, brûlot (1).
Être écrivain aujourd'hui est-ce très différent d'hier ? Le contexte a changé : le rôle des médias, les possibilités électroniques, les lois de la chaîne du livre et du marché impitoyable. L'écrivain suscite moins d'intérêt que les vedettes de la politique, du sport, du spectacle. Sa voix est-elle audible dans la cité ?
Quelles que soient les métamorphoses, le geste demeure. L'écrivain aujourd'hui, je le perçois comme un être modeste, enfonçant ses racines dans l'humus commun, mais libre et résolu à travers succès et oubli. En lui, l'intime conviction qui lui permet d'avancer envers et contre tout. Son texte s'inscrit avec sa couleur et sa forme singulières dans le vaste texte universel.
Pour moi, écrire-vivre-lire forment un tout, un seul verbe à l'intérieur duquel circule l'énergie. Il me semble que ma vision est essentiellement poétique, qu'elle se traduise en poème, nouvelle, roman, essai, théâtre. « Et tu vas écrire jusque quand ? », interrogent des écoliers. Aussi longtemps que je respirerai, j'espère."
Colette Nys-Mazure membre de l'association des Ecrivains croyants
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