Table ronde « Sciences et religion : des affinités électives. » Contribution de Karima Berger, écrivaine, vice-présidente d’ Ecritures & Spiritualités qui représentait notre association.
Les religions sont ancrées dans des textes, de la parole, du langage, du verbe.
Même défigurées par l'obscurité du monde, leurs Ecritures ont traversé les siècles et nos bouches continuent de les proférer, les dire, les mâcher, une manducation de l'homme qui veut goûter au festin de la création divine.
Leur force et leur puissance perdurent moins en raison de l'ordre religieux qu'elles édictent que de la poésie du monde, beauté, ordre qu’elles déploient, nous rendant "visibles les choses invisibles" (Novalis).
La transmission, la pérennité, l'éternité même des révélations divines ne va pas sans Beauté ni mystère. Dieu aime faire rêver sa créature, il parle en images, comme le poète en l'homme aime à le faire, en allégories, paraboles et métaphores. Ses versets (dans versets il y a le mot « vers ») convient le lecteur à une cérémonie intime réactualisant dans le langage les traces fragiles du divin. Et si la poésie s'interdit d'afficher tout signe démonstratif et ostentatoire d'appartenance, c'est encore mieux ainsi.
Et plutôt que le couple sciences et religions, je dirai sciences et spiritualités et je dirai même Sciences de la spiritualité, science au sens de la conscience du cœur spirituel de chaque religion.
Il est vrai que la science en tant que telle n’est pas vraiment le modèle des poètes et des écrivains, quoique, les plus grands physiciens ou les plus grands mathématiciens sont aussi poètes et les physiciens quantiques sont épris le plus souvent de cette « science » de la spiritualité.
Il y a même une sorte de méfiance de la part des écrivains et des poètes au regard de la science, elle n’est pas leur langage, c’est que la science au sens du savoir est perçue comme un risque pour l’inspiration créatrice… et les poètes préfèrent eux, l’inspiration, l’intuition, le dhawq , ce joli mot arabe qui signifie le goût, la saveur, le savoir. On l’oublie, mais Savoir vient de saveur, on ne connait rien si on n’y a pas goûté, en soi, intérieurement et à partir de l’expérience, qui est le premier degré de la connaissance. Sinon, quelle aridité !
La démonstration n’est pas vraiment le lexique de l’écrivain ou du poète, son travail est de conduire lui à une autre science, qui creuse la dimension spirituelle du monde, des choses, des êtres.
Pour notre association qui réunit des écrivains de toutes religions, l’association s’appelait auparavant Association des Ecrivains Croyants d’Expression Française. Elle avait été créée en 1971, au moment où en URSS, les chrétiens étaient emprisonnés et empêchés dans l’exercice de leur foi. Le contexte voulait cette mise en avant du terme de croyant. Elle avait été fondée par de grandes figures comme Olivier Clément, théologien orthodoxe, Eva de Meyeverovitch qui a traduit l’œuvre de Rûmi, ou André Chouraqui, traducteur du Coran et grand bibliste, Claude Vigée, poète juif ou Mohamed Talbi, théologien d’origine tunisienne… en ce temps-là, la sensibilité religieuse était discrète et n’avait rien à voir avec nos temps aujourd’hui où justement, le religieux est devenu l’objet de crispations et surtout de marque et appartenance identitaire ? Ce qui le menace au plus haut point, le religieux s’abîmant en discours idéologique. Les écrivains qui animent et portent cette association sont toujours croyants mais d’une croyance plus ancrée dans la spiritualité et dans le partage avec tout autre (y compris ceux de sensibilité athée ou agnostique) d’une foi au fond commune même si le langage de chacune se dit différemment et c’est tant mieux ! ce sont autant de louanges dans toutes les langues faites à Dieu ! ces écrivains qui ne se tiennent pas dans une posture défensive de « leur » religion ni dans le respect aride des préceptes et de la Loi ont choisi d’appeler l’association du nouveau nom de Ecritures & Spiritualités un nom plus ouvert, plus accueillant pour ceux qui sont en chemin.
Ecritures au sens où les Ecritures saintes, les grands textes sacrés (y compris de la tradition hindoue et bouddhiste …) sont une source inépuisable d’inspiration, de sens, de poésie, de récits par où l’écrivain peut trouver de quoi se ressourcer.
Non pas pour faire un panégyrique de sa tradition, mais pour l’inscrire dans la réalité de tous les jours, les actes, les gestes, la vie de femmes et d’hommes face à l’interrogation et/ou à la certitude du divin : Qu’est-ce que Dieu veut de nous, ses créatures ? et comment accomplir au sens fort du terme ce dessein divin ?
Spiritualités car il est le mot qui nous parait le plus réunir, rassembler les croyants des différentes traditions et ouvrir sur un espace non marqué par la loi, en tous cas, pas surdéterminé par le corpus religieux, ou la doctrine.
Je pourrais illustrer cette vocation de l’association par cette parole de l’Emir Abdelkader : « Si tu penses qu’Il est ce que croient les diverses communautés -musulmans, chrétiens, juifs, mazdéens, polythéistes et autres- Il est cela et Il est autre que cela ! Et si tu penses et crois ce que professent les Connaisseurs par excellence -prophètes, saints et anges-, Il est cela ! Il est autre que cela ! Aucune de ses créatures ne L’adore sous tous Ses aspects ; aucune ne Lui est infidèle sous tous Ses aspects. Nul ne Le connaît sous tous Ses aspects ; nul ne l’ignore sous tous Ses aspects. »
Et s’il y a une affinité élective elle est bien entre les Ecritures & la spiritualité, cette douce affinité se dégage de leur lecture, de leur appropriation… on ne récite pas mécaniquement des passages de la bible ou du Coran mais on fait parler l’intelligence, les sens, l’hospitalité vis-à-vis de l’autre et surtout le Cœur, l’organe même de la connaissance divine. Et ainsi, on espère pouvoir accueillir l’effet de cette lecture en soi, en sa vie, en sa création d’écrivain.
Et bien sûr, un écrivain ne commence pas de rien comme dans la Génèse ! Oui, on a chacun un héritage, un univers culturel, théologique, spirituel et il est bon de se sentir vivant dans une lignée de prophètes, de saints et de saintes, et d’écrivains avant nous… Il est bon de se sentir en quelque sorte béni par leur parole et leur vie et leur enseignement. Nous sommes tous chacun, disciple des Ecritures, ici, en ce bas monde, elles sont nos premiers Maîtres. Nous en sommes les héritiers et devons les honorer. Et peut-être même qu’au fond, on écrit toujours le même livre ou plutôt, c’est le même livre qui continue de s’écrire… et c’est cela qui est merveilleux …
Je ne dis pas Son écriture, de Sa tradition… je dis bien les Ecritures qui appartiennent à nous tous. J’aime que le chrétien lise le Coran avec l’ouverture du cœur et qu’il en soit troublé, ému, étonné…et que quelques lignes en lui puissent bouger et l’enrichissent de cet autre aspect du divin qu’il découvre… De même, quelle émotion pour moi de lire Marie dans les Evangiles ou la vie de Moïse dans la Torah, mon Coran prend encore plus de profondeur, de densité, il s’embellit de ces autres formes qui avant lui ont dit Yahvé, Dieu, Allah…et si le dogme est différent, il ne doit pas m’empêcher d’y accéder, d’apprendre, de savoir, de respecter et d’acquérir dans le cœur, un peu plus de science encore, une science non pour parader mais pour mieux accomplir mon service divin.
Karima Berger
Octobre 2022. Fès. Maroc
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