Pourquoi j'ai écrit ce livre
C’est un bonheur et une gageure que de faire connaître un philosophe et sa philosophie à de très jeunes lecteurs. Cet Érasme et le grelot de la Folie m’est venu sans que je le veuille. Le sujet, le personnage (je veux dire, la Folie), m’invitaient à jouer, sans modération, avec les mots. Ils me conduisirent à croiser en chemin Bruegel et Rabelais, Jérôme Bosch. Et j’ai retrouvé le vieux thème du monde à l’envers, dont Babel est le chef-d’œuvre. Un jeu, une fantaisie, mais sans oublier en Érasme l’esprit libre, l’apôtre de la paix.
Le jeune Érasme soutient demain à la Sorbonne la thèse qui le fera docteur. Son sujet : l’histoire de la philosophie et le cortège des philosophes. Ce n’est ni la pleine lune ni la vermine du collège de Montaigu qui l’empêchent de dormir, mais le sentiment qu’il manque à son propos le grain de sel nécessaire. Entre dans sa chambre une visiteuse au bonnet bizarre et qui prétend se nommer Marotte. Elle emmène le jeune homme faire le tour du monde, ancien, présent, futur, pour qu’il s’instruise un peu.
Le lendemain, sa soutenance n’est pas l’éloge de la Sagesse, mais l’éloge de la Folie, lui-même jouant sur l’estrade le rôle de la Folie, comme un bateleur, à s’y méprendre. Le premier pas vers la sagesse n’est-il pas de connaître sa propre folie ? Tout s’achève en tohu-bohu, fête, festin dont Pantagruel fournit les barriques, carnaval.
Extrait
« On cuisit des briques dans de grands fours de brique, on ramassa et on tailla des pierres, on posa la première sur l’angle d’un premier cercle qui étendait son arc jusqu’à l’horizon, et Nabuchodonosor, grand chasseur devant l’Éternel, dit-on, le doigt tendu vers le ciel, fit d’avance le discours d’inauguration. On dressa des échafaudages, on se jeta dans le travail à corps perdu, on travailla jour et nuit : la lune ou des lampadaires éclairaient le chantier. On dormait peu. Il y eut bientôt un étage, puis un autre. Tant pis pour ceux qui avaient le vertige. Les maladroits, ceux qui se blessaient, s’estropiaient, par manque d’habitude, les éclopés, les souffreteux, on les jetait par-dessus bord, avec les inutiles et les paresseux, et comme on se débarrassait des brouettes et des roues de brouette cassées, irréparables. Quand on manquait d’ouvriers dans un quartier de la tour, on allait en chercher ailleurs, à un étage ou à un autre. On leur promettait un meilleur salaire. Et s’ils n’acceptaient pas de quitter leur famille, leur pays, on les emmenait de force, fers aux pieds, galériens de l’énorme escargot, bagnards. Ainsi fut inventé l’esclavage. Si les esclaves, avec les moyens du bord, pelles, pioches, fourches, pierres et cailloux, se révoltaient, on les massacrait. Pour cela, il était bon d’employer des gendarmes, qui n’étaient que d’autres esclaves. Ainsi furent inventées l’armée et la police. Ainsi fut inventée la guerre. »
Érasme et le grelot de la Folie, Claude-Henri Rocquet, illustré par Céline Le Gouail, Les petits Platons, novembre 2012, 14 €.
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