"Fascinée comme tout le monde par les rares figures du pur amour que nous pouvons connaître - le Christ, saint François d’Assise, Maximilien Kolbe, quelques inconnus adorables - je me suis risquée il y a une quinzaine d’années dans la rédaction d’un roman centré sur un de ces êtres de lumière. Je voyais ce personnage féminin. Il m’a toujours semblé que le roman a pour fonction, entre autres, de réfléchir son temps, au deux sens du mot réfléchir, donner à voir et penser. J’aurais donc voulu situer cette figure du pur amour dans notre monde contemporain. J’y ai renoncé, non que le pur amour n’anime plus personne autour de nous, loin de là ; mais par crainte de la critique littéraire française. Il ne fait pas bon aujourd’hui en France (il en va autrement à l’étranger) représenter, serait-ce dans un roman et par le truchement de personnages imaginaires, des pratiques aussi réactionnaires que la générosité, l’altruisme, un cœur brûlant de charité. A la rigueur sous le masque de personnages du passé … Je suis donc allée chercher à la fin du 18° siècle cette être de pur amour que fut sans le savoir Louise-Honorine de Choiseul, « La femme du premier ministre » (Gallimard, 2000, et Folio N°3403) ou quasi-premier ministre pendant douze ans de Louis XV.
Les frères Dardenne, comme on dit, comme ils laissent dire, dans un demi anonymat pas très loin de celui des artistes d’antan, ont osé ce que je n’ai pas osé. Sans diminuer leur audace, notons que la critique cinématographique est (un peu) moins marquée en France par l’idéologiquement correct que la critique littéraire. Ils ont imaginé dans leur dernier film, « Le gamin au vélo », un personnage de jeune femme ordinaire qui - sans le savoir, faut-il le redire ?- fait passer l’autre avant elle, lui ouvre sa maison, réorganise sa vie pour lui, bref, manifeste à son endroit toute la charité humainement possible.
Pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom ? Parce que le christianisme n’est plus en cour ? Il est vrai que les représentations d’il y a ciquante ou cent ans du credo chrétien et le langage employé par trop de prélats ne sont plus intelligibles - je n’en dirais pas autant de représentations plus anciennes. Dieu soit loué, des artistes comme les frères Dardenne témoignent de l’actualité et de la puissance du testament du Christ. Sans le savoir, peut-être (mais je crois pour ma part qu’ils le savent très bien), ils pratiquent à travers leurs superbes films ce que l’on appelait, dans une de ces formules à la simplicité parfaite dont le classicisme avait le secret et que plus aucun clerc n’emploie, l’imitation de Jésus-Christ."
Laurence Cossé
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