Pourquoi j’ai écrit ce livre
Qu’est-ce qui rend notre monde vivable ? Qu’est-ce qui nous donne accès réellement à la vie la plus pure ? La plus haute ? Telles sont, sous une forme courte et légère, les questions que j’ai voulu effleurer dans cet opuscule.
M’inspirant d’un texte de l’Antiquité, le drolatique Éloge de la calvitie, de Synésios de Cyrène (fin du IVe-début du Ve siècle de notre ère), je me suis donc, moi aussi, lancé dans le genre de l’éloge paradoxal, celui de la marginalité.
S’il me fallait, pour cela, d’abord critiquer les pseudo-rebelles et pseudo-marginaux qui pullulent dans les sphères culturelles et médiatiques, ce n’était pas là le cœur de mon propos. Il me fallait m’intéresser aux vrais marginaux, à ceux qui vivent réellement aux frontières de notre monde, et non à ceux qui en occupent bruyamment le centre. En m’intéressant à ces marges, je me suis rendu compte qu’on pouvait les assimiler au sacré, à ces lieux, à ces choses, à ces êtres qui sont ici tout en étant d’ailleurs – à ces lieux, à ces choses, à ces êtres qui témoignent d’un ailleurs tout en étant ici. L’ambiguïté de leur situation est comme la porte ouverte sur ce qui est plus grand que l’homme, sur un absolu qui lui-même peut devenir source d’enthousiasme ou de la tragédie – mais, qui toujours, nous arrache à la condition ordinaire des mortels, et nous ouvre les secrets les plus profonds de la vie.
C’est par les marges, en d’autres termes, que paradoxalement nous devenons humains.
Extrait
Le no man’s land du sacré est peuplé d’une foule d’hommes et de femmes en lesquels a été discernée la marque de forces supérieures à l’humain. Reconnus comme des « aliénés », comme des altérés, comme des êtres marqués dans leur chair par l’action des puissances occultées du réel, ils sont irrémédiablement mis à part, que ce soit pour être vénérés comme des dieux (à l’instar des pharaons d’Égypte) ou pour être éliminés de la surface de la terre (comme les hermaphrodites Romains). L’expression de no man’s land se justifie alors aussi en ce sens que ces individus ne sont pas considérés comme pleinement, véritablement humains. Le sacré, cette zone de pénombre propice aux métamorphoses, est à la fois un lieu où se concrétise l’aspiration vers la plénitude divine (prophètes, héros) et la déchéance vers l’animalité brute et vers le chaos. Ceux qui y sont assignés sont ou bien supérieurs, ou bien inférieurs à la condition humaine ordinaire, mais en aucun cas ne lui sont réductibles.
Éditions Belles Lettres, collection IBI, 13 février 2017
Auteur :Exit. Exclus et marginaux en Grèce et à Rome (Les Belles Lettres, "Signets", 2012) et de Petit éloge de la vérité (Salvator, 2015).
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