Le prix 2024 d'Ecritures & Spiritualités a été remis en public mardi 24 septembre à la librairie la Procure, à frère François Cassingena-Trévedy, pour son ouvrage "Propos d'altitude", édité par Albin Michel. Laurence Cossé, présidente du jury, a prononcé un vif hommage, soulignant les qualités de pensée et d'écriture, et la profondeur des questions sur le christianisme vécu aujourd'hui.
Hommage de Laurence Cossé
François Cassingena-Trévedy Propos d’altitude.
L’avant-propos de ce livre situe l’altitude dont il est question. Cet ouvrage suit une rupture, peut-être même pourrait-on dire qu’il est né d’une rupture. Il « voit le jour, écrit l’auteur, après la mise à exécution du choix que j’ai fait d’une vie plus retirée, plus dépouillée, plus élémentaire, dans les hautes terres du Cantal. (…) Autre manière d’être moine car j’entends bien le demeurer. Autre manière d’être d’Eglise, car je persévère à croire en l’Eglise, (…) alors même que l’écart auquel je me suis mis s’explique en partie par la répercussion, au plus intime, de ses déboires contemporains. » (p.10). Sur cette rupture, on n’en saura pas plus, sinon des allusions présentées comme des propos généraux.
En revanche, l’auteur, dans cet avant-propos, insiste sur la basse-continue qui sous-tend son livre, « le thème qui y apparaît jusqu’à s’imposer et à devenir obsédant », « l’effondrement
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de tout un paysage religieux », le nôtre, le catholicisme en Occident. Mais, poursuit immédiatement le frère Cassingena-Trévedy, « on assiste ici à l’émergence (…) d’un nouvel acte de foi, à moins qu’il ne s’agisse de l’acte de foi tout court, tel qu’il s’impose désormais, plus dramatique, plus austère, plus coûteux ».
Ce livre n’est pas un essai mais un recueil de fragments, d’ordres divers, des choses vues, souvent dans la nature, des notations mystiques, des pensées -l’auteur aime le mot- qui ont ceci de particulier, de paradoxal, qu’elles sont exprimées dans une forme poétique (le frère Cassingena-Trévedy tenant fondamentalement à l’expression poétique de la pensée – ce qui revient à marcher sur une ligne de crètes). Mais on perdrait à lire ces fragments dans le désordre. Car ils sont ici organisés selon un dessin significatif. « L’émergence d’un nouvel acte de foi » : ce qui nous est annoncé est aussi captivant que vague.
Mais plus on avance dans la lecture, plus se précise cette foi issue des ruines. Qu’on n’attende ni assurance ni consolation. La spiritualité qui nous est proposée est un christianisme du dépouillement, de l’effacement, de la taciturnité, de l’obscurité, de l’incompréhension et l’agnosticisme, de l’aridité, de l’enfouissement, du vide… Tous ces termes sont de l’auteur. Et son propos est d’une grande radicalité. Quelques exemples. « L’heure est venue de reconnaître, d’accueillir affectueusement, sans honte ni horreur, l’agnostique qui nous habite, l’agnostique que nous sommes bel et bien devenu sous la nécessité d’un crépuscule universel qui nous environne et qui nous envahit. » (p.154) « La substance de cette religion (plutôt que son contenu, car à vrai dire elle ne contient rien, comme rien ne la contient), sa substance, donc, est une capitulation ardente, active, devant un mystère total qu’aucun mot ne borne, qu’aucun dogme ne résout, qu’aucune institution ne domestique. » (p.146) « Notre foi aura lieu désormais sous le crépuscule du peut-être » (p.157) « Ce que je crois – (…) si affranchis que nous puissions être désormais des dogmes et des idoles, il y aura toujours un mystère absolu, insoluble, insondable, qui appellera notre adoration. C’est cet ostensoir-là, cet ostensoir obscur - Soleil noir - que nous devons nous représente dans cesse devant les yeux lucides et inquiets de notre cœur, que nous devons laisser monter, toujours plus évident, à l’horizon de notre vie. AU DIEU INCONNU. » (p.235)
L’auteur, par petites touches, esquisse un christianisme sans théologie, un christianisme non
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institutionnel, un christianisme pluriel, divers, un christianisme « à fleur de chair », comme il le dit, un christianisme de la vie, de la tendresse, de la fantaisie. Une mystique, ou des mystiques, qui me font beaucoup penser au boudhisme zen à ceci près que le Christ, sa passion, sa présence, son regard, son silence sont au cœur de cette mystique. « Et conversus Dominus respexit Petrum. (« Et le Seigneur, s’étant retourné, regarda vers Pierre ») (…) cet Homme-là, aux abois, (…) du fond de sa détresse et de sa tendresse, continue de me fixer sans que je lui échappe. Entre ses yeux et mes yeux, une ligne droite par-dessus la cohue des siècles se dessine, un rayon à travers la nuit des temps, qu rien ne pourrait oblitérer. Et cela, inévitable, douloureux et fulgurant à la fois, est assez pour fonder toute ma religion. » (p.171)
Nous avons admiré, j’admire dans ces pages
une extrême rigueur, une exigence sans borne, une immense audace ;
un magnifique choix de phrases des Ecritures, souvent placées en tête d’un fragment qui s’appuie sur la citation pour en décoller ;
une remarquable finesse dans l’analyse ;
une perpétuelle attention à la beauté et à la poésie, entendue au sens le plus large ; une faculté d’émerveillement inlassable.
Quantité de ces fragments – je suis tentée de dire ces versets – sont magnifiques. Je voudrais pouvoir en lire des dizaines. Je dois me contenir – mais vous avez le livre. Un aperçu : « Plus que la parole importe l’arrondissement de silence qui se déploie autour d’elle ; et plus encore que cet arrondissement solitaire, son intersection avec d’autres cercles issus d’autres paroles comparables en densité. Comme gouttes de pluie sur le clavier du lac. Car l’Esprit ne plane pas seulement sur les eaux : il les ensemence en mariant des rosaces. » (p.133)