Pourquoi j'ai écrit ce livre ?
J'étais déjà fasciné depuis longtemps par la figure de l'émir Abd el-Kader. Après les attentats de janvier 2015, il s'est imposé à moi. Voici une figure universelle, de confession musulmane, aux antipodes de l'idéologie jihadiste. J'ai eu envie de raconter sa vie à travers les yeux d'un enfant qui a une dizaine d'années au moment de la conquête de l'Algérie. La fiction m'a permis de faire connaître au plus près un Abd el-Kader courageux, visionnaire, doutant de lui-même, mais toujours noble dans l’adversité. J'ai insisté dans le roman sur sa dimension spirituelle.
La dimension soufie d'Abd el-Kader est essentielle. Le soufisme est considéré par ses adeptes comme le coeur de l'Islam, et non comme une voie parallèle, voire un mouvement sectaire.Toute la vie d'Abd el-Kader peut être relue à la lumière de sa pratique de l'Islam. La notion de miséricorde est essentielle. Certes, il a fait la guerre au nom du jihad mais il s'agissait pour lui d'une guerre défensive qui interdisait la barbarie. Durant ses quinze années de combat, il n'a cessé de dire que son but premier était le grand jihad, le combat intérieur, celui qu'on mène contre soi-même, ainsi que l'indique le Coran.
A l'heure où chacun s'interroge sur les moyens d'empêcher l'Islam radical de prospérer, le soufisme pourrait être une réponse possible pour les jeunes musulmans en quête de sens. La figure d'Abd el-Kader est un modèle positif. Quand Daech décapite ses otages, il est utile de rappeler la façon avec laquelle l'émir traitait les prisonniers de guerre. Lorsque les fanatiques détruisent des trésors de l'humanité comme les Bouddhas de Bamyan, Palmyre ou les manuscrits de Tombouctou, souvenons-nous qu'Abd el-Kader sauvegardait tous les manuscrits qu'il pouvait. Et s'il vivait aujourd'hui, il alerterait le monde sur le sort des chrétiens d'Orient et des minorités religieuses persécutées par les extrémistes, lui qui sauva les chrétiens de Damas en 1860. Enfin, il est important de noter que le portrait de ce musulman qui a accompli le jihad figure devant l'entrée du principal temple du Grand Orient de France, gardien vigilant de la laïcité en France. Aimé et respecté autant en Algérie qu'en Orient ou en France, Abd el-Kader est la preuve que les civilisations peuvent dialoguer et trouver des espaces communs.
Extrait
"Au sommet d'une colline, apparaît un marabout isolé. Des tourterelles volètent au-dessus de la petite construction blanche en forme de dôme. Nous descendons de cheval. L'émir se recueille un instant. Son regard parcourt le toit décrépit du marabout. Un sourire illumine ses lèvres.
- Le temps humain est si court, dit-il. Lorsque j'avais ton âge, je rêvais d'écrire des commentaires du Coran. Méditer pendant des jours sur un seul verset, tenter d'en comprendre tous les sens possibles, les sens cachés. Tiens, celui-ci par exemple : « Allah est la lumière des cieux et de la terre »...
Son regard s'est tourné vers le ciel. Il sourit au passage des tourterelles. Son esprit vagabonde, comme si des milliers de pages défilaient devant ses yeux. La guerre est loin de ses pensées. Les Français, les tribus, les armes, la stratégie, tout cela a disparu. Le cœur de l'émir est plein d'autres choses.
- Vois-tu, je pourrais consacrer ma vie à ce seul verset... Au lieu de ça, je dois me préoccuper du fourrage pour les chevaux, de la toile nécessaire pour fabriquer nos tentes, de la poudre pour nos fusils. Et maintenant, cette question sans réponse, où vais-je pouvoir établir ma capitale ? Mais le plus éprouvant, le plus ingrat, c'est encore de convaincre tous ces chefs de tribus que l'union fait la force. Leur répéter, tout en sachant qu'ils me trahiront à la première occasion, qu'en dépassant nos querelles, nos intérêts mesquins, nous pourrons préserver la terre de nos ancêtres... Je suis épuisé.
Une larme roule sur sa joue.
- Pourquoi ce fardeau me revient-il ? Je n'ai pas été élevé pour faire la guerre. Je n'ai encore rien accompli de grand. Le temps que je passe à voyager de village en village m'empêche de faire ce qui compte vraiment à mes yeux. Apprendre, rechercher la vérité. J'aimerais tellement faire connaître l'œuvre de mon maître Ibn Arabi. Mon père m'a suggéré de rassembler ses écrits et de les publier... Mais comment y parvenir ? Je suis accaparé par toutes ces tâches ingrates, qui dévorent mon temps et mes forces.
Il se met à égrener son chapelet en murmurant les différents noms d'Allah. Nul besoin de parler davantage, je ressens ce qui agite son âme. Il voudrait lire, méditer, écouter le silence. Au lieu de cela, il doit penser à réorganiser son armée, trouver le moyen de nourrir les milliers de femmes et d'enfants qui vivent sous sa protection. Pense-t-il vraiment qu'il n'a rien accompli de grand ? Il a déjà réalisé l'impensable, organiser la résistance armée face à une puissance réputée invincible comme la France. Il est un exemple pour les jeunes qui ont choisi de le suivre, par son courage, sa droiture, sa modestie. Je voudrais lui dire ce que je pense au plus profond de mon cœur mais le respect que j'ai pour lui m'empêche de parler.
Nous accomplissons la prière ensemble. "
Loïc Barrière, Roman d'Abd el-Kader, éditions Les Points sur les I
Loïc Barrière
Journaliste à Radio Orient depuis 1991, Loïc Barrière dirige la rédaction francophone de Radio Orient et anime des émissions littéraires et politiques. Outre Le roman d'Abd el-Kader, il a publié 3 autres romans aux éditions du Seuil, Le voyage clandestin, Quelques mots d'arabe, et Le Choeur des enfants khmers. Le 25 aout 2016 paraît son cinquième roman Rizières sous la lune, éditions Vents d'Ailleurs
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