Dans le sillage de Hégires (Acte sud, 2017), Karima Berger, née d’Orient et d’Occident, revient vers nous dans une démarche très personnelle, très poétique, pour essayer de nous crier Sa part de vérité. Ce livre, comme Hégires, est un grand cri, celui d’une femme brûlée par les lectures du Coran, brûlée par la vision masculine, patriarcale qui s’impose partout, depuis toujours. Cette femme blessée nous adresse un appel vibrant et rebelle qui concerne tout autant ceux qui ont corseté le Coran et l’islam d’une chappe de légalisme et de rigorisme, les lectures patriarcales de la Bible qui fondent le christianisme, que les dévots d’une modernité qui veut tout voir et tout montrer. Car, pour Karima Berger, les femmes ont une mission particulière sur cette Terre, à elles confiée par Le Dieu unique, une mission qui consiste à voir l’invisible et, à ce titre, à être les auxiliaires de la révélation divine. Combien de fois dans le livre reviennent les expressions « les femmes savent, les femmes sont, les femmes voient ». Ce monde d’hommes, façonné par les hommes, est un monde qui se perd car il ignore la part invisible de la vie, il ne croit pas au Mystère (le ghayb), il ne jure que par ce qu’il tient et possède. Il revient aux femmes, dotées de l’Infi’al, de la « passivité réactivité », mise en mot par Ibn Arabi et l’Emir Abdelkader, d’être les vecteurs de cet essentiel méconnu.
Ce livre est l’occasion pour Karima Berger d’évoquer toutes les femmes mentionnées par le Coran. On lit avec beaucoup d’intérêt sa vision de Marie, la très belle évocation d’Hagar, la servante d’Ibrahim, mais aussi les différentes épouses du Prophète et des figures de grandes prophétesses ou personnalités de l’islam. On découvre la dimension sexuelle de la vie du prophète et le rôle essentiel que jouèrent, non seulement dans son existence mais dans la révélation elle-même, chacune de ses femmes. On approche de la dimension mystique de l’union sexuelle. Karima Berger évoque ces sujets difficiles sans sourciller, en s’appuyant sur sa propre lecture des textes, par référence à « Son prophète » et en nous offrant à plusieurs reprises des moments pleins d’émotion où elle nous parle de l’éveil de la petite fille qu’elle fut, parmi les femmes de sa famille, avec sa grand-mère, cette « sultane tatouée », ou avec son grand-père.
Livre assez fascinant, d’une écriture très imagée, mais comment traiter de sujets aussi sensibles sans avoir recours à une certaine magie des mots ? Livre qui dérangera, et les musulmans et les chrétiens, et les modernes et les féministes, tant il aborde le féminin par un aspect inhabituel et si peu audible de nos jours. « les femmes sont l’invisible fil tendu entre l’humain et le divin » ; « Sans les femmes, l’être divin en ce monde serait resté inconnu » ; « Les femmes sont les sage-femmes du divin par quoi les élus se tiennent abandonnés tels des nouveau-nés entre leurs mains de parturientes » .
Ce livre est enfin une confession de foi de cette femme éprise de liberté qui s’en remet en toute confiance entre les mains de son Créateur. Un livre important.
Karima, à, la lecture de cette recension, me précise : « je traite dans ce livre du sujet des femmes mais aussi et au fond peut être surtout du féminin, qui lui ne concerne pas que les femmes...et qui concerne les hommes mais aussi le sacré dans son sens le plus large. C'est le signifiant féminin qui me parait faire la singularité de cette religion/civilisation ». Je pense pour ma part que son propos s’adresse bien au-delà de l’islam.
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