Le don : Didier Ayres

19 / 06 / 2025
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Un instant

Comme elle fut significative, cette basilique des Halles dont je ne connais pas même le nom.
J’aurais pu mourir là, et m’embraser dans le feu des loups cerviers,
s’il n’y eut l’épée bleue de cette sentinelle
qui tournait dans le vitrail du chœur.

Octobre 1983, plusieurs fois.
Et cette nuit encore, je fus débordé par un magnifique monde noir de velours
où mon angoisse se resserrait.
J’ai brûlé de la matière inerte,
comme cet oiseau de l’invraisemblable jardin peint.
Quelque chose de donné,
quelque chose d’obscurité.
Nonobstant cette invitation au banquet,
rien que ce moment où mes yeux croisèrent
le dallage de l’église où étaient pétrifiées les roses de la réalité.

Une espèce d’écharpe de parole.
Et en cette demi-heure d’aujourd’hui,
est-ce que je connais davantage ?
Il ne me reste que l’inconscient de la Grande Maladie,
l’inconscience des mots,
un grand jardin zodiacal.
Je n’existe plus
parce que je me suis vu mourir devant lui.

Octobre 1983 : le mariage des vins et du sucre.
Pourquoi mon ombre ? Oui, Seigneur, pourquoi mon ombre ?
C’est plus qu’une image, plus qu’un visage vers où je tombe.
Ce sont des chaises de l’étang bleuâtre,
qui ressemblent à des chaises de prière,
qui s’enfonceraient dans le sol aqueux d’une pièce d’eau.

C’est le dieu sur mon épaule.
C’est une fleur de sang dont je suis hanté.
J’étais cet inconnu de 1983,
et je gisais là, au pied de l’architrave.
En face, j’avais photographié une vitrine de mannequins
que j’ai appelés les hommes tangibles.
C’était l’agrandissement de ma personne
à l’insu de ma personne.
J’ai tant pleuré depuis.

Cette nuit encore, le Dragon d’onyx
qui frappait mon sommeil
ressemblait à ce rêve du jeune homme plein de sang
que j’étais
et qui se souvenait déjà d’avoir été touché
par la mort.

Seuls mes yeux m’ont sauvé — coquillages verts et don de folie —
là, à côté des jardins des Halles,
au-dessus du centre commercial.
Là est l’ordre du secret.
Je dors dans le coton d’or de l’espoir.
Je plonge dans le monde bleu de la vraie solitude.
Je le sais, après la nuit de la réponse : Il y a meilleur.

Octobre 1983.
La peur à laquelle j’ai échappé miraculeusement
dans un wagon du RER.
Les flûtes japonaises dans mon baladeur.
Une nuit dans Le Concorde–St-Lazare.
Cet instant avec son insigne rouge,
celui des géants de boue
qui me hantent encore,
cette nuit s’attarde.

Didier Ayres

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