Ce que tu m’as donné
J’aime porter des boucles d’oreilles, un lainage, un foulard, offerts ou légués. Je me sens revêtue de tendresse, d’une attention par-delà les frontières artificielles entre la vie et la mort. Lorsqu’on le remarque, j’ai plaisir à préciser : mon mari ou tel petit-fils m’en a fait cadeau ; le lien accroît la valeur de l’objet, quel qu’il soit.
Ma chère Maurane s’en est allée ; me restent, non seulement ses chansons magnifiques, portées par sa voix profonde, nuancée, mais une écharpe violette en étamine de laine. Assises l’une près de l’autre, au Salon du livre organisé par la Villa Yourcenar au sommet du Mont Noir, je l’avais admirée ; sans hésiter un instant, elle me l’avait passée autour du cou. J’étais désemparée devant sa générosité, alors j’ai détaché mon foulard en soie pour le lui donner ; nous sommes tombées dans les bras l’une de l’autre. Cette écharpe, souvent mise, je l’ai transmise à une de nos petites-filles qui l’appréciait.
Avec le même élan que Maurane, une amie se préparant à quitter notre maison m’a tendu le châle couleur corail que je louais sans la moindre arrière-pensée, car j’aime m’émerveiller ! À la manière de l’écrivaine belge Suzanne Lilar, observant que les choses n’étaient pas moins belles de ne pas être possédées. Je lui ai offert un livre en échange, pour le seul plaisir.
Il n’est pas nécessaire de donner en retour comme si l’on s’acquittait d’une dette, mais la réciprocité fait circuler la grâce du geste.
— Colette Nys-Mazure