Nuit de feu
Tu es née au cœur de la nuit.
Tu as jailli du creux d’une vague de souffrance puissante, submergeant tout sur son passage, tu as deviné la voie, les yeux grands ouverts sur l’inconnu dans lequel tu t’élançais.
Nuit des origines, nuit de la Genèse, nuit première avant tout autre signe donné, nuit du sein maternel qu’il faut ainsi quitter pour voir le jour. Tu es venue au monde à minuit passé, au cœur d’une nuit d’été, de sa chaleur.
La vie, l’amour, plus forts que la mort, c’est ce que chaque naissance donne à connaître, à la mère comme à l’enfant, au cœur d’une déferlante de douleurs et d’accalmies dans cette lutte déchirante pour libérer l’être de sa gangue de nuit et d’eau, l’amener à la lumière.
Qui es-tu ?
À ce moment-là, j’ignore encore si tu es fille ou garçon, seule compte cette découverte de ton existence propre, au paroxysme d’un tohu-bohu de sensations, de peurs, d’attente, et d’élan de vie mêlés.
Tu es moi, je suis toi, nos corps imbriqués se détachent tout à coup dans ce moment de feu.
Millimètre après millimètre, tu as ouvert puis franchi l’étroit passage.
Brûlure à la flamme d’amour, qui jamais ne s’éteint.
Ton père, si présent et certainement si démuni par moments durant ces longs mois du mystère de la gestation, peut enfin te contempler, t’envisager, tandis que tes poumons se déplient et découvrent la sensation inédite de l’air, ta peau celle d’une autre peau nue contre elle, et que la mienne t’accueille, transportée d’une joie sans limites qui renverse la souffrance.
Mon cœur exulte, mon âme est en fête.
C’est un Magnificat solaire en cette vigile du 15 août !
Tu reposes sur moi, le temps est arrêté.
Plus tard vient l’étonnement de la béance qui suit la plénitude de ce ventre heureux habité de rotondité. Accepter la perte de cette merveilleuse symbiose tient du deuil, alors même qu’il s’agit d’une naissance, du don de la vie.
N’écrira que celui qui consent à sa propre béance… Alors, oui, Heureux les pauvres !
Heureux ceux qui souffrent, car ils seront consolés… Voici que j’écoute autrement le défi des béatitudes à l’aune de ce moment d’abandon vécu lors de l’enfantement, cette évidence du plus grand dénuement vers la joie parfaite appelée à se renouveler tout au long de l’existence, « de commencement en commencement, par des commencements qui n’ont jamais de fin », disait Grégoire de Nysse en évoquant la montée spirituelle de l’âme.
— Annick Combier