Pourquoi j'ai écrit ce livre
Je travaillais sur l’œuvre de Jérôme Bosch. Je cherchais à la déchiffrer, à la comprendre. J’ai eu l’intuition qu’elle pouvait s’éclairer par celle de Ruysbroeck, que je ne connaissais qu’à peine. Plus tard, j’ai marché dans la forêt de Soignes où Ruysbroeck vécut, prieur et fondateur de Groenendael, près de Bruxelles, comme à travers la forêt de ses livres. Cet essai, cette biographie, ou cette évocation, est le récit d’un apprentissage.
En résumé
Le livre publié, un dialogue avec Michel Cazenave, à France Culture, m’a rendu plus attentif à ce qui chez Ruysbroeck porte sur le « féminin » et j’ai écrit « Ruysbroeck et la mystique maternelle », qui prolonge la nouvelle édition de Ruysbroeck l’admirable. Bosch sans doute s’est nourri de l’enseignement de Ruysbroeck. Et Ruysbroeck écrivait et voyait en peintre. Tout près du monastère de Groenendael, à Rouge-Cloître, Hugo van des Goes vécut ses dernières années.
Mais ce qui frappe en ces dernières pages, c'est la force et l'élan du visionnaire. Je ne parle pas de l'expérience intime de l'invisible qu'eut Ruysbroeck, mais de sa capacité à imaginer et à montrer ce qui est objet de foi et d'espérance, à le rendre sensible. Je parle de ce talent qui le rapproche des peintres mystiques à commencer par ceux du Nord. Quand nous lisons Ruysbroeck, il est bon de l'entendre, d'entendre une parole au-delà de l'écrit, mais il est excellent de se représenter ce qu'il évoque. On a coutume d'être attentif à ses concepts, à la théologie qui est à la sienne, au vocabulaire dont il use, qui est celui de son époque, et que parfois il invente, ou réinvente, dans sa langue natale, et pour tenter de dire ce qui défie et dépasse la parole. Il faut aussi regarder la pensée de Ruysbroeck, se rendre attentif et ouvert à ses images, à sa contemplation. N'est-ce pas ainsi que nous lisons l'Apocalypse ?
C'est en poète que Ruysbroeck évoque le Royaume. C'est en poète qu'il évoque les corps et le monde glorieux. Et ce qui est magnifique, dans ces pages, c'est que tout est sauvé, magnifié, porté du bas de l'autel terrestre jusqu'à la Présence. Ce monde sensible et cette nature humaine, raisonnable, dont Ruysbroeck, au premier chapitre du livre, nous montrait qu'ils conduisaient à Dieu, déjà, les voici, sanctifiés, éternels.
Lisant ces pages, j'entends le poème de Milosz : « Ce sera tout à fait comme dans cette vie. » Oui, ce sera tout à fait comme dans cette vie, mais plus beau, plus lumineux, sept fois plus lumineux que dans cette vie, dit Ruysbroeck. Le temps ne sera plus, ni la douleur. Le Royaume qui se trouvait dans la nature et l'esprit de l'homme, dans l'Écriture et dans la grâce, le Royaume de Dieu sera dans la gloire. Les éléments entachés par l'homme seront eux aussi purifiés, les quatre éléments, et toutes créatures. Élan d'un poète ? Parole d'Écriture : « Toute la création gémit dans les douleurs de l'enfantement », dit saint Paul. Et Ruysbroeck :
« La terre sera cristalline et plane comme la paume, les eaux plus pures et claires qu'aujourd'hui garderont leur forme et leur substance ; dans la clarté de l'air, lune, soleil, et toutes les étoiles, resplendiront d'un éclat sept fois plus lumineux qu'à présent ; il n'y aura nuage, grêle, pluie ni vent, éclair ni tonnerre ; il ne fera jamais nuit mais jour, éternellement, et la clarté aussi sera éternelle, au ciel et sur la terre. »
Ruysbroeck l’admirable, Claude-Henri Rocquet, éditions Salvator, 9,90 €.
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