Catherine Chalier - Pureté, impureté. Une mise à l’épreuve

11 mars 2019

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Le mot de l’auteur :

Les sociétés modernes font usage des vocables de pureté et d’impureté dans un registre moral, juridique et politique mais elles méconnaissent souvent leur signification rituelle et spirituelle. Or celle-ci, présente dans toutes les cultures, est fondamentale à penser. Ainsi, pour le Judaïsme, l’impureté correspond aux forces qui, en nous, autour de nous, pactisent avec la mort et les rites de purification doivent nous rendre accès à celles qui nous vivifient. Dans ce livre j’analyse le sens des lois rituelles et des lois morales en expliquant pourquoi les secondes ne peuvent pas faire fi des premières sans dommage. Mais les modernes ont largement oublié cela et ils usent du vocabulaire de la pureté et de l’impureté essentiellement sur un plan moral et politique. Certains estiment que seuls valent les mélanges (symbiose, métissage etc.) et ils critiquent la pureté comme une menace intolérante et violente. Mais n’oublient-ils pas que les mélanges peuvent aussi être destructeurs ? Inversement, ceux qui défendent une pureté exempte de tout mélange pactisent avec le fanatisme (épuration ethnique par exemple). L’histoire donne maints exemples de ces dangers terribles.  Dès lors je plaide la cause d’une « autre pureté », une pureté qui renouerait avec la thèse initiale du livre, à savoir une pureté qui veillerait sur la prédominance des forces de la vie sur les forces qui nous entraînent vers la mort. Pureté que l’on peut trouver dans les mélanges créateurs, mais aussi chez tous ceux qui, malgré l’impureté qui prévaut, maintiennent leur attention sur le qui-vive pour l’œuvre de la création.

Extrait :

Les mélanges ne font pas nécessairement régresser vers le tohu-bohu et l’harmonie qu’ils manifestent parfois n’efface pas les singularités. Parlant de la pureté du son des cloches de Notre-Dame, Victor Hugo écrit : « D’abord la vibration de chaque cloche monte droite, pure, et pour ainsi dire isolée des autres, dans le ciel splendide du matin. Puis, peu à peu, en grossissant, elles se fondent, elles se mêlent, elles s’effacent l’une dans l’autre, elles s’amalgament dans un magnifique concert. Ce n’est plus qu’une masse de vibrations sonores qui se dégagent des innombrables clochers (…) Cependant cette masse d’harmonie n’est point un chaos. Si grosse et si profonde qu’elle soit, elle n’a point perdu sa transparence ; vous y voyez serpenter à part chaque groupe de notes qui s’échappe des sonneries… » ([1]). L’accès à la pureté de cette beauté là, au cœur d’un mélange donc, est-elle un « pur » leurre sur le plan humain ? Beaucoup le pensent en effet, arguments de fait à l’appui. Dans les âpres conflits qui ne cessent d’opposer les humains entre eux, on a recours en effet le plus souvent aux mélanges de forces accusatrices les unes des autres, afin de brouiller toutes les distinctions, de rendre inaudibles les paroles qui tentent de les énoncer et d’éviter de réfléchir à ce qu’elles mettent en évidence, bien plutôt qu’on ne cherche à donner consistance à cette pureté du mélange évoquée par Hugo. Mélange de forces qui ne s’annihilent pas les unes les autres mais dont chacune grandit grâce à l’autre, en écoutant les autres. Par contre, dès lors que les mélanges sont habités par des forces impures auxquelles on laisse libre cours – mélanges dont la haine scande les imprécations – les mots finissent par se fondre dans un magma qui ne permet plus de percevoir la moindre singularité, magma qui ne peut manquer de provoquer des violences terribles qui ne seront plus seulement verbales tant il est vrai que nul ne peut vivre dans le magma. Certains en meurent donc tandis que d’autres font mourir et, dans les deux cas l’impureté triomphe donc. 

[1] Notre-Dame de Paris, 1482, Paris (1831), Paris, Gallimard, Folio Classique, 2009, p.232.

Bayard, 2019.


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