Le don de Léon
On étouffe en cette nuit d’été. À travers le judas de la loge, ce 17 juillet 1942, à six heures, Léon, quinze ans, réveillé par un vacarme, va tout voir : les gendarmes dans le hall qui bousculent Lazare, son père, sa mère, ses frères et sœurs. Il enviait ce Lazare, fortuné, premier de classe. À vrai dire, il ne l’aimait guère. Maintenant, il a honte d’être resté à l’abri, de ne pas avoir hurlé : « Arrêtez ! »
Juillet 1943. Un chemin s’est tracé dans la tête de Léon, tout droit, sans retour. Un chemin d’absolu. Minuit. Il se cache sous des porches dès qu’il entend les pas lointains d’une patrouille. Peur au ventre, courage au cœur. Il a quitté une nouvelle fois la loge à l’insu de sa mère endormie. Il est allé chez un monsieur qui lui a remis une enveloppe. Il la porte à l’autre bout de Paris.
Une main de fer sur l’épaule. C’est fini. À la prison, dans la cellule, l’un jure, un prêtre récite sa prière, les autres sont prostrés.
Un gardien lui a procuré une feuille, une plume.
« Maman chérie, ne pleure pas. L’idée m’est venue la nuit où ils ont emmené Lazare. J’ai tout vu par le judas. Il fallait que je me risque. Tu disais toujours : il faut se protéger quand les Boches et les collabos font leur sale besogne. S’en sortir, c’était ton verbe. Mais je n’étais pas d’accord. C’est ma vie que je donne. Je demanderai à ne pas avoir les yeux bandés, ça ira vite, juste une intense douleur. Je ne peux dire que je n’ai pas peur. Si je suis triste de quitter cette vie, c’est de ne plus te voir, de ne plus découvrir au matin les arbres frissonnants de vie. De ne plus faire l’acrobate en bicyclette dans la cour de l’immeuble. Peux-tu rendre à René le livre d’histoire que je lui ai emprunté ? Et à Jacqueline, au troisième, dis-lui que je l’aime bien. Je l’aimerai bien toujours, là où je serai.
Là où je serai, ce sera MIEUX. »
— Jean-Louis de La Vaissière