Hommage à Charles Juliet,

19 août 2024

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membre du comité d’honneur d’Écritures et Spiritualités, mort le 26 juillet 2024.

Par Claude Plettner

Toute sa vie et son œuvre témoignent de la longue traversée de ses « terres froides » : la mort de sa mère alors qu’il a un mois, internée dans un hôpital psychiatrique, dépressive et suicidaire. Placé dans une famille de paysans, le voilà à douze ans enfant de troupe à l’École militaire. Années de rudes épreuves jusqu’à son admission à l'École de santé militaire de Lyon. Il abandonnera finalement ses études de médecine pour répondre à son irrépressible besoin d’écriture et à l’impérieux désir d’organiser sa vie autour d’elle.

Pourtant, ce furent d’abord quinze années silencieuses de lecture, comme un nécessaire préalable à sa propre écriture, restée longtemps solitaire. Temps de grand désarroi, de dure concentration, d’interrogation et de dialogue avec les livres des sages et des mystiques de toutes traditions. À leur lecture, il puise des forces pour son long travail d’élucidation intérieure, et trouve des jalons pour baliser sa voie à travers les fractures de ses « terres froides » jusqu’à poser un autre regard sur lui-même, sur autrui, et sur le monde. « À leur ombre, je cessais de porter sur mon aventure un regard de dérision. » Avec eux, il s’ouvre à ce qu’il appelle le « spirituel », détaché pour lui de toute croyance religieuse mais lié au « besoin de s’élever, de faire grandir le meilleur de soi ».

La reconnaissance viendra enfin en 1989, avec L’Année de l’éveil, récit romancé de son expérience d’enfant de troupe. Entre temps, il a poursuivi en silence son exploration intérieure inextricablement liée à l’écriture : c’est par elle qu’il entreprend le voyage pour aller du moi au soi et mène le patient travail d’élagage et de refonte de sa personnalité.  

Cette connaissance de soi affranchie de tout ego traverse la dizaine de volumes de son Journal, débuté en 1957 et jamais interrompu, paru chez P.O.L, son fidèle éditeur. Ces pages témoignent du va-et-vient incessant entre la quête la plus intime et l’ouverture à l’universel, le regard sur soi et l’attention porté à toute rencontre, aussi banale soit-elle, apparemment.

« Ce journal m’a permis de m’explorer, de me découvrir, de me révéler à moi-même ; il a été à la fois une sonde, un scalpel, un outil de forage, le brabant à l’aide duquel j’ai labouré la terre intérieure. » dit-il dans un livre d’entretien que j’ai eu le bonheur de mener avec lui et de publier[1]. Cet homme qui obtint le Prix Goncourt de la poésie pour Moisson en 2013 et le Grand Prix de l’Académie Française pour l’ensemble de son oeuvre en 2017, m’a marquée par sa simplicité, son abord si facile, sa cordialité fidèle, son humilité, l’exigence de son travail intérieur, la concision de sa parole rare, et sa paix lumineuse conquise de haute lutte. Sa générosité, il l’a manifestée en entrant au comité d’honneur de l’association, et en lui consacrant en 2018 une soirée de témoignage  «L’écriture et les mystiques, une voie d’approche de soi ». Son œuvre et sa vie continuent de nous accompagner.

Ce texte de Charles Juliet intitulé "écrire" est extrait de l’ouvrage  Il fait un temps de poème , anthologie de 50 auteurs rassemblés par Yvon Le Men,  Filigranes éditions, 1996.  

Écrire. Écrire pour obéir au besoin que j'en ai.

Écrire pour apprendre à écrire. Apprendre à parler. 

Écrire pour ne plus avoir peur. 

Écrire pour conquérir ce qui m'a été donné. 

Écrire pour susciter cette mutation qui me fera naître une seconde fois. 

Écrire pour devenir toujours plus conscient de ce que je suis, de ce que je vis. 

Écrire pour tenter de voir plus loin que mon regard ne porte. 

Écrire pour m'employer à devenir meilleur que je ne suis. 

Écrire pour faire droit à l'instance morale qui m'habite. 

Écrire pour savourer ce qui m'est offert. Pour tirer le suc de ce que je vis.

Écrire pour agrandir mon espace intérieur. M'y mouvoir avec toujours plus de liberté. 

….

Écrire pour être moins seul. Pour parler à mon semblable. Pour chercher les mots susceptibles de le rejoindre en sa part la plus intime. Des mots qui auront peut-être la chance de le révéler à lui-même. De l'aider à se connaître et à cheminer. 

Écrire pour mieux vivre. Mieux participer à la vie. Apprendre à mieux aimer. 

Écrire pour que me soient donnés ces instants de félicité où le temps se fracture, et où, enfoui dans la source, j'accède à l'intemporel, l'impérissable, le sans-limite. 


[1]  Ce long périple , Charles Juliet ,Bayard, 2001

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