Les lectures... d'Isaline Dutru Pourquoi faudrait-il lire Hégires de Karima Berger ?

5 mars 2022
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La réponse serait une réponse archipel, comme Algérie – El Djezaïr – signifie « Les Îles ». En surplomb, l’auteure nous invite à relire les exils multiples autant bibliques, coraniques qu’historiques mais aussi, le sien, étant partie d’Algérie pour rejoindre Paris et celui de l’émir Abdelkader qu’elle nomme comme son maître.

La constante de ces exils est la traversée du désert : celui d’Abraham – pour les musulmans, le premier soumis – celui d’Hagar fuyant avec son fils Ismaël, le fils d’Abraham... Mais paradoxalement, c’est au désert qu’ont eu lieu les rencontres fondatrices car c’est au désert que Dieu entendit Ismaël, c’est au désert que Dieu se révéla à Moïse et c’est au désert que l’ange transmit son message à Mohammed. Onze ans plus tard, en 622, Mohammed dut quitter La Mecque pour fuir ses ennemis. Cet exil-là – appelé l’Hégire – marqua le début de l’ère musulmane.

« L’Hégire est un point de départ » car l’exilé se souvient de cet envoi à la fois terrible et attirant : Va-t’en de ton pays, de ta parenté et de la maison de ton père, vers le pays que je te montrerai. Mais Karima Berger souligne un étrange retournement historique : « l’exil est devenu occidental. On s’exile de la lumière vers l’ombre. L’Orient vient en quête d’Occident, du Levant vers le Couchant ». Ainsi, l’humanité ne cherche plus son « orient » tant elle est désorientée.

En creux, nous lisons aussi le récit d’une femme à la conquête de son âme. Comme la huppe d’Attar dans La Conférence des oiseaux doit traverser sept vallées, l’auteure nous rend témoins de son exil en France et dessine les contours d’une aridité spirituelle car privée de livres et surtout de son livre essentiel et privée de sa langue. Alors que lui reste-t’il pour apprivoiser cet étrange Occident ? « Le rêve et le poème seraient les seuls équipements de l’étranger »… « Aussi, écrire me fait retrouver ma parole singulière et mon islam (berceau moins natal que vital ) dont j’ai été exilée par la distance physique mais plus encore par l’expulsion de mon étrangeté ».

Écrit en 2017, le livre dévoile à la fin le lien que Karima Berger entretient avec la ville de Paris. L’auteure écrit cette phrase singulière : « Paris, terre d’adoption de mon être d’outre-mer… Chaque nuit, j’assiste à la naissance silencieuse d’âpres paysages, habités d’ennemis et de guerriers qui terrorisent mon pays ». Mon pays ? L’auteure a donc fait sienne cette terre d’accueil ? « Tous les oiseaux au cours de leur voyage eurent leurs plumes et leurs ailes ensanglantées de blessures », avait prévenu Attar. Karima Berger a su transformer ses blessures en une écriture solaire et généreuse, sans jugement, sans condamnation. C’est un livre qui vibre d’une énergie splendide. Il nous rejoint car c’est un livre « essentiel qui existe déjà en chacun de nous ». L’auteure s’est seulement contentée – selon ses mots – « de nous le traduire ».

Ainsi lire Hégires est en soi une expérience pour partir, et « décider d’être partout chez soi, dans son être même ».   

Isaline Dutru

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