Une toile vierge, trente par quarante. L’artiste s’apprête à déposer taches de lumière et de couleurs. Chevalet, palette, tabouret, tablier lui font escorte tout en gaieté. La fente de ses yeux se rétrécit à ne plus voir ses prunelles. Le regard fait retraite au profond des orbites, ce n’est pas une myopie, juste un autre regard.
Je perçois qu’elle voit autrement, autre chose, non plus l’ami du voisinage que l’on croit connaître mais un visage et ses secrets que l’on découvre à coups de brosses et de pigments.
Un dialogue amoureux s’engage entre un regard, un visage, une main, deux cœurs battants, une toile et des pinceaux voltigeurs. Le temps s’est arrêté, ciel et terre à l’aube de la création, le grand silence des origines. Les images défilent entre les tempes avec leur cortège d’humeurs, une murmuration d’étourneaux se compose et se recompose, toujours reliés, toujours en mouvement, point de halte à la joie d’être. Leur chorégraphie est connue d’eux seuls. Le peintre tente un déchiffrage, une touche à la fois, symphonie de silences colorés.
Gaspard et Anastasia, dix ans et des poussières, ajoutent à la conversation secrète de l’atelier leur joie d’apprendre à lire le trait et la couleur.
La pose reprend après la pause enfantine. Trois heures écoulées sur un fauteuil en bois, un éclair, une chevauchée à perdre haleine sur des territoires sans frontières. Me voilà rafraîchi, lavé, régénéré, je découvre un visage en deux dimensions, il pourrait être le mien, oublié, un éclat d’âme égaré dans un repli de la mémoire, retrouvé. Merci l’artiste.
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