Remise du Prix Ecritures et Spiritualités 2023

26 juin 2023
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Le 19 juin 2023, Ecritures et Spiritualités, par la voix de son président Patrice Obert, a remis, en présence de Leili Anvar, présidente du jury,  son prix littéraire à Soleyman Bachir Diagne pour son ouvrage De langue à langue. Karima Berger a rendu hommage à cette grande personnalité, qui a par ailleurs accepté de devenir membre de notre Comité d'honneur.  Puis, Sylvie Germain, Christine Ray et Anne Prouteau ont  félicité Colette Nys-Mazure pour la Mention spéciale qui lui a été attribuée par le jury pour l'ensemble de son oeuvre. La vie et l'oeuvre de notre fidèle amie Colette avaient été peu avant, dès 18h, illustrées par une "installation" originale due à Monique Grandjean, vice-présidente de E&S et infatigable figure de proue de notre association depuis quelques décennies. La vidéo ci-jointe illustre cette belle soirée, tenue chez Rosie Barba Negra,  qui a réuni membres du jury, adhérents d'E&S, amis des lauréats, journalistes, éditeurs et amoureux de la littérature.
 Vous trouverez en annexe les interventions orales des hommages. Ont été remis comme cadeaux : à Soleyman Bachir Diagne, une gravure "Le sceau de Fès" de Louise Cara sur papier velin et japon, à Colette Nys-Mazure, un livre de gravure de Christiane Vieille consacré à un poème de Stéphane Mallarmé.

Colette Nys-Mazure, poète de la vie, par Christine Ray

Impossible de résumer  une œuvre de romancière, nouvelliste , poète,  riche et profonde,  continue depuis presque cinquante ans,  Monique  Grandjean a déjà largement ouvert la porte, je voudrais simplement  donner à mon tour quelques pistes.

Ta poésie des jours,   ton écriture qui tente de saisir chaque instant d’éternité,  me semble répondre  à cette magnifique invitation de Vladimir Jankelevich   : «  le vent se lève, c’est maintenant ou jamais. Ne manquez pas cette unique matinée de printemps ».

le projet de toute ta vie de poète, Colette,  tu le résumes  toi-même dans ce très beau poème ( anthologie  Feux dans la nuit, 2003) 

Délivrer les sources

Célébrer les silences  et leur ouvrir les ailes

Crier la vie muette, timide, désarmée,

Ameuter les rêves

Marcher dans le fil du jour,

Maintenir le cœur sur le cadran solaire

Divulguer l’amitié

Créer la torsion de l’être ;

ravir le secret vital.

la vie muette, timide, désarmée :  que ce soit celle d’une personne en fin de vie,  celle d’un enfant mal  aimé, d’un jeune en dérive,  ta plume attentive  tend l’oreille à ces cris muets.

Ameuter les rêves  j’imagine cette cohorte de rêves,  comme une meute vivante et sauvage, que tu convoques, par des images, des rapprochements inédits et qui invitent tes lecteurs à convoquer leurs propres rêves.

Marcher dans le fil du jour , - tous les jours, c’est ta patience d’écriture,  le matin, après une lecture de texte  sacré,  tu te mets a ton secrétaire pour poser quelques  lignes,  ton instant de liberté, d’intime présence.

Divulguer l’amitié ,   nombreux ici sont ceux qui ont reçu de ta part ce don d’amitié,  que tu sais non seulement vivre, mais aussi , en poète, divulguer…    une amitié qui n’est pas de  surface, mais vivante.

Créer la torsion de l’être : c’est à ce niveau là de l’inconnu, du grand mystère de l’être, dans les ténèbres ou la plénitude,  que tu situes  la voix  du poète.

Ravir le secret vital , chère Colette,  il y a donc un vol, un délit  dans la quête du poète ?

Une transgression…  mais ce secret à dérober,  il serait vital.    Pour toi Colette, à la foi vive et poésie, prière et poème  se joignent dans une espérance inextinguible de renouvellement.

Cher Souleymane, discours de Karima Berger

Cher Souleymane Bachir Diagne, cher Lauréat,

La Traduction dites-vous est « l’expression, dans la langue d’accueil d’un amour immédiat - souvent un coup de foudre-  un amour pour ce qui s’est créé dans une autre langue. Et le très beau titre de votre livre l’annonce : De Langue à langue, je l’entends, dans sa polysémie, comme aussi l’histoire entre les peuples d’un long baiser amoureux.

Et votre nom Souleymane n’est-il pas la traduction de celui de Salomon ? Et ce roi Salomon n’est-ce pas lui qui accompagnée de sa huppe splendide parlait aux oiseaux ? est-ce cette faculté qu’il avait de parler toutes les langues qui vous a inspiré cet essai ?

A vrai dire, c’est moins un essai qu’un récit, un récit qu’on devine inspiré par l’épreuve intime de l’étranger en soi. Vous n’êtes pas traducteur, c’est bien là la force de votre travail et de votre pensée, nourrie non par le souci de la traduction en soi mais par l’accueil de la traduction, par une sensibilité extrême à la langue de l’autre et ce que cette Hospitalité provoque comme évènements, que l’on pourrait nommer évènements spirituels. C’est le récit d’un « dépaysement », vécu par une voix à la fois  africaine, musulmane, soufie, , française, américaine, philosophe… et d’autres choses transfuges encore, sûrement, une voix qui nous dit : qu’est-ce que l’acte de traduire et en quoi réside le miracle de cette « seconde profondeur » qui apparait soudain dans un texte nouvellement traduit ?

Vous citez quelques exemples provenant du Sénégal, votre pays, exemples de traduction de la langue locale par le pouvoir colonial et les défis que cette entreprise représente pour lui et pour sa survie. Comme dans cette savoureuse histoire des « onze » et des « douze » grains du chapelet rapportée par l’immense Amadou Hampate Bâ et la ruse que l’interprète local , pourtant désigné par l’administration coloniale , invente pour éviter de n’être que la « voix de son maître ». Mais vous rappelez aussi combien cette affaire de langue peut-être aussi un « baiser de la mort »  lorsqu’une langue dites-vous,  sous la domination d’une autre, lentement va s’éteindre ou lorsque la traduction se fait trahison comme celle du Coran réalisée par Pierre le Vénérable, abbé de Cluny en 1142 .

La traduction : une technique ? Sûrement pas, la Traduction est elle-même une langue quand elle sait s’orienter vers son pôle secret, vers l’Orient du cœur, je veux dire l’Esprit. Vous convoquez Léopold Senghor pour qui la langue EST de nature spirituelle, elle EST Intercesseur vers cette lumière de l’Esprit, d’où votre reprise d’une formule aux allures de couronne royale : la Traduction est La langue des langues.

A une condition cependant, que la traduction ne cesse d’aller au-delà de sa langue dit François Cheng, l’homme qui ô combien s’est laissé éprouver par la langue étrangère. Que le traducteur, doit, en allant au-delà, avoir la conscience que c’est l’Humanité même qui se réalise dans son geste.

Car l’humanité est comme notre langue commune. Ces langues qui nous ont été données à nous, peuples monothéistes, je veux parler ici des langues dans lesquelles va se livrer à nous ce que l’on appellera la parole divine, ou le Verbe ou Le Livre ou l’Écriture…, bref, ce qui vient à nous sous forme d’un écrit. En nous faisant être dans une même humanité, nos langues réalisent, elles accomplissent je pourrais dire, leur service divin, en se jouant l’une de l’autre, en s’enlaçant, en s’intimant de près, en se priant l’une l’autre. « Donner sa langue » est un acte de charité dit Senghor qui implique de « Faire hospitalité à la langue de l’autre » dit Louis Massignon.

Et la langue divine, celle qui est l’objet d’une « traduction verticale » que va—t-il se passer lorsqu’à elle va être l’objet d’une « traduction horizontale » entre hommes. Une traduction qui ne cesse pas tant elle en recherche constante de ce qu’Il a bien voulu nous dire. C’est pourquoi nous ne cessons de traduire, nous ne cessons de nous traduire et d’être traduits, de langue à langue en un mouvement infini. Et cette traduction verticale, cette « descente de l’infini et de l’éternel dans la temporalité d’une langue humaine » pose dites-vous, une véritable question théologique puisque comme tout ce qui entre dans le domaine du sensible est corruptible, « les tables d’une loi qui n’est pas respectée ne sont que des blocs de pierre » dites-vous sauf si s’opère leur « incorporation » dans l’humain.

On peut même vénérer le texte sans rien comprendre de son sens littéral (la liturgie en latin ou le coran récité par un enfant peul) ? c’est cela les langues qui se prient entre elles et que l’enfant peul vénère le texte pour « son mystère et sa sombre beauté », comprendre le Verbe « amoureusement » dites-vous. On nomme aussi le Coran Tanzîl, « descente » de la parole divine dans le cœur du prophète, en une fois. Et dans sa traduction horizontale, l’arabe est bien la langue du Coran , mais n’est pas la langue exclusive de l’islam, « toutes les langues le sont ou peuvent l’être » dites-vous en chantant les vertus du pluralisme des traductions qui ne font pas perdre le sens mais au contraire l’approfondissent et l’éclairent d’un éclat qui le rend à nos yeux NEUF comme au premier jour.

Et puis la langue dites-vous peut être comparée à l’art. Du haut de l’arrogance occidentale, on nommait l’art africain (ou mélanésien)  «  art primitif », c’était un non-art, puisque sa fonction est d’abord religieuse. Certes, mais si une statuette est efficace, si elle réussit sa fonction – religieuse- c’est bien qu’elle dégage une poesis, un élan vital créateur qui va imposer sa puissance et sa force d’intercession du Sacré ?

Et vous posez alors cette question vertigineuse : que devient cette fonction spirituelle lorsque l’objet se retrouve dans un musée d’Europe ? et lorsqu’il revient dans son pays d’origine, de quelles forces et puissances est-il désormais chargé, de quelles nouvelles « traductions » est-il porteur, comment l’accueillir de nouveau, dans quelle langue, dans quel langage artistique ? sacré ? religieux ? vous nous dites ainsi que la restitution d’œuvres d’art à leurs pays d’origine n’est pas une simple « revendication », loin de là, car elle s’apparente à une nouvelle aventure, telle le  retour d’Ulysse à Ithaque.

Et puis ce dernier exemple auquel je ne résiste pas concerne le verbe être. comment le traduire en langue ewe ? Vue du haut de cette même supériorité occidentale, la langue ewe n’a pas de termes abstraits et n’a donc pas de verbe être, on va donc conclure que cette langue a un « manque » alors même  que Benveniste nous dit qu’aucune langue ne peut être incomplète. En réalité, la langue ewe ne manque de rien, simplement elle a un trop plein de mots pour dire le verbe être.   

Que de questions passionnantes ainsi,  vous soulevez !

Et vous nous voyez heureux de vous avoir lu et heureux de voir que la longue et riche liste de livres primés par E&S s’enrichisse de votre ouvrage, une nouvelle pierre à notre Tour spirituelle, une Babel heureuse dirait Roland Barthes, notre Babel à nous qui aime dire à sa façon, la pluralité des langues divines : « si nous l’avions voulu, nous aurions fait de vous une communauté unique. Mais nous avons fait ce vous des peuples et des nations pour que vous vous entre-connaissiez » dit le Coran. verset 49/13.

Ecritures & Spiritualités vous remercie pour ce degré de plus qui nous élève.

Juin 2023

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