Cher Christian Bobin,
Depuis samedi vos boites à lettres au Creusot et en particulier celle de votre maison aux volets bleus regorgent de toutes les missives envoyées de vos amis secrets ou reconnus! Depuis des mois, des années peut- être, nous retenions ces mots...et nous avons trop tardé; aujourd'hui où vous êtes passé dans "la pièce à côté", c'est un peu différent évidemment, mais votre présence nous est si proche, votre voix si présente, que nous pouvons vous parler bien simplement comme à un familier à peine éloigné.
Très jeune vous avez été bercé par une "bande" d'amis poètes, vos aînés pour la plupart dont le poète Jean Grosjean, l'Ami par excellence et probablement votre mentor. A sa mort vous disiez que ses livres, privés de leur poète, étaient mélancoliques! Cette lumineuse réflexion vous dépeint tellement (et je sens la mélancolie des vôtres...). Un autre ami Roger Bichelberger partageait votre admiration et évoquait "Dieu, dans la brise qui frôle notre joue " (poème de J. Grosjean, tiré de Adam et Eve), là également on croit vous entendre. Roger Bichelberger et vous aviez nombre de points communs: lui lorrain, né dans le charbon, vous creusotin "au berceau d'acier"; vous deux épris de votre province et de la nature qui la borde et ironisant sur le parisianisme et le germanopratin! L’un et l'autre humant les senteurs de vos forêts, scrutant les couleurs de l'aube au couchant ! Mais le point d'ancrage de votre amitié était probablement votre croyance que l'invisible semble donner le sens de toute chose"(C.Bobin) et que "Dieu c’est la Vie, débarrassée de tout ce qui peut la dogmatiser, l'enkyster, la paralyser".
En 1990 Roger Bichelberger est président de l’Association des Ecrivains Croyants d'expression française (qui deviendra "Association Ecritures et Spiritualités").Chaque année elle remet son prix littéraire à un écrivain qui œuvre pour le dialogue interreligieux. L’année 2006, vous en recevez le Prix et venez tout exprès à Paris le recevoir. Mais Roger est alors hospitalisé et m'a chargée de le remplacer et de vous honorer par un discours de "laudation"! Je n'étais qu'une de vos ferventes lectrices, alors nous sympathisons et devenons amis. Je ne suis donc pas étonnée l'année suivante de vous entendre, transporté de joie, m'annonçant l'éclosion d'un nouveau poète génial d'origine gitane et piémontaise : Jean-Marie Kerwich ; selon vous son livre: "l'Evangile du Gitan" est "le livre qui manquait à la Bible, entre les imprécations de Job et les espérances de David". A mon tour subjuguée par ma lecture, je le proposais au jury de l'Association qui le nommait lauréat en 2009 à sa grande joie qui égalait la vôtre! Malheureusement 9 ans plus tard il s'éteint à 66ans, et j'écris son éloge posthume.
Cher Ami, je ne vous dis pas A Dieu, car pour vous "les morts n'ont pas quitté la vie mais ses cloisons prétendument étanches"; et puisque vous teniez la main des morts sans morbidité mais avec amour et reconnaissance je vous tends la mienne, en attendant de vous revoir!
Monique Grandjean