écrivaine, membre du comité d'honneur d'Ecritures & Spiritualités
Christian,
Dès l'instant où l'on entre dans le mystère de la mort - cet "instant très pur" dont vous avez parlé à propos de l'amour, et pareillement quand on apprend la mort d'un être cher -, on est dépouillé de tous ses titres et qualificatifs, même de son patronyme. Il ne reste que la nudité du prénom. Une nudité de naissance. Il faut être léger pour glisser dans le chas de la mort.
Je m'adresse donc à vous par votre seul prénom, en signe, précisément, de respect.
"Je n'ai aucun âge, avez-vous écrit, je suis indifféremment vieux, jeune ou non encore né. Et mort aussi bien, ce qui est peut-être la plus aérienne façon d'exister." Vous avez toujours vécu de façon aérienne, - ce qui ne signifie nullement éthérée, au contraire - ,vous avez habité et aimé le monde de façon charnelle et aérienne d'un seul tenant, et d'une pleine teneur en sensibilité, en bouffées d'éblouissement, conquises parfois au bord de gouffres de chagrin, ou d'angoisse. Vous avez sondé l'outre-noirceur du monde jusqu'à faire affleurer les traces de lumière qui innervent son revers, comme votre ami Pierre. "Ce que je vis de clair est sans cesse arraché au sombre, je vais chercher mon amour jusque dans les enfers", dites-vous dans La lumière du monde, cette lumière que vous n'avez cessé d'aller puiser "dans le noir de l'encre".
Vous n'avez jamais voulu retenir, posséder quoi ou qui que ce soit; même les mots. Vous les délestiez des pesanteurs et des obscurités
dont trop souvent on les encombre, et particulièrement le mot 'Dieu', l'un des plus empâtés et nébuleux qui soit. Ce mot-là, vous l'avez laissé s'alléger, vaguer en liberté, s'éclaircir jusqu'au vide.
A toute chose, à la terre, aux êtres et à la langue, vous avez octroyé une totale liberté, car vous avez toujours gardé intact en vous l'esprit d'enfance qui n'a pas d'âge, et que si peu d'adultes savent préserver en eux, "le sage-ne-pas comprendre de l'enfant" que Rilke plaçait au plus haut rang des qualités, et auquel Bernanos est resté passionnément fidèle. Comme l'enfant, l'artiste ne prétend pas savoir, il s'étonne devant les plus simples choses, il s'émerveille ou se trouble d'un rien, il interroge le monde, le visible, la vie, il observe, il contemple, il médite et il rêve, il sent le monde, il le respire, - et il joue. Il joue avec sérieux, avec hardiesse et insouciance. Vous avez joué avec les mots, gravement, gaiement, pour restituer des éclats de beauté et aviver le goût de vivre, de rêver, en vous et chez les autres. "Si j'ai mis de la lumière dans mes livres, c'est aussi pour ne pas assombrir l'autre, par courtoisie envers celui qui me lit."
La courtoisie: mot démodé auquel vous avez su conférer un sens fécond, une saveur d'une folle douceur.
"Ne m'en voulez pas de mon silence, avez-vous demandé. Il dit que j'écris, que je rêve ou que je meurs, c'est tout un."
Nous ne vous en voulons pas de vous effacer dans une immensité de silence - vous avez toujours vécu, pensé, écrit dans la réverbération du silence, il est le grain de votre voix si singulière, le souffle de vos mots buissonniers, et vos livres demeurent la chambre d'écho de votre voix désormais tue. Leur force de résonance est d'une si grande amplitude qu'elle maintient vive votre présence, et longtemps elle la gardera ardente dans sa discrétion.
Non, nous ne vous en voulons pas d'avoir disparu, votre retrait vous révèle dans une lumière plus intense et plus fine, votre effacement épure votre présence, et l'affermit.
Il n'empêche, notre tristesse est grande, abrupte, à la mesure de votre silence, et seule la gratitude que nous éprouvons à votre égard contrebalance cette tristesse. Dans votre extrême courtoisie, vous mettez de la lumière jusque dans le deuil de votre personne.
Merci à vous, Christian
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