Pourquoi j’ai écrit ce livre :
C’est un joli genre que celui de la chronique telle que La Croix en fait écrire depuis deux ou trois ans à des romanciers, mais un genre dont la définition file entre les mots. Ce n’est pas un article d’information sur l’actualité - bien qu’elle puisse informer sur l’actualité. Elle n’a pas à rapporter des faits : elle peut surgir d’une lecture, ou d’un souvenir de film ; mais la chose vue, la scène saisie sur le vif y trouve bien sa place. Elle n’est pas forcément consacrée au présent - elle peut transporter à La Rochelle au grand siècle ou à Beyrouth au temps de la guerre ; souvent, pourtant, c’est pour mieux réfléchir le monde qui est le nôtre aujourd’hui. Ce n’est pas un éditorial au sens où celui-ci consiste à prendre position dans un débat : mais elle peut se poser là dans l’expression d’une opinion. Ce n’est pas nécessairement une réflexion, elle peut s’apparenter au poème, à la pitrerie - qui, dans leur genre, sont aussi des invites à réfléchir.
Disons que la chronique est un libre propos et n’allons pas plus loin dans sa définition positive. Car c’est la forme qui fait la chronique et non le sujet, c’est l’absolue liberté de sa forme. La chronique n’est pas tenue au sérieux, ni à la concision, ni de conclure, ni de préconiser. Elle n’est tenue à rien du tout, je crois, sinon à l’exigence formelle.
Extrait :
Je passais l'autre soir rue du Pré-aux-Clercs quand j'ai vu devant moi, sur le trottoir, un canapé. Il faisait nuit, le canapé avait l'air neuf, avec ses deux grands coussins blancs. A l'évidence il n'était pas de ces meubles à bout de souffle qu'on dépose sur le trottoir pour les faire enlever. Il ne barrait pas le passage, au contraire, il était adossé à une vitrine éclairée, bref il invitait à s'asseoir.
J'étais pressée, à la seconde j'ai cessé de l'être. Qu'est-ce qui fait le poids au regard d'un canapé sur le trottoir, rue du Pré aux-Clercs, un beau soir ?
(…)
Il n'en faut pas plus pour transformer une fin de journée banale en échappée poétique. Nous manquons tous de fantaisie, je veux dire que la fantaisie nous manque et que nous sommes peu enclins à la faire naître. Les Français, nous autres, Français, si peu sérieux sur le fond, si désinvoltes en profondeur, qui superposons des politiques contradictoires, changeons les lois comme on rebat un jeu de cartes et nous intéressons bien plus à l'idéologie qu'à la réalité, malgré cette légèreté nous ne sommes pas doués pour la fantaisie. Quand nous la pratiquons, c'est en catimini. Nous ne l'affichons pas, craignant d'être déconsidérés. Or la fantaisie, cette face rieuse de la poésie, est comme le soleil, tout le monde l'aime et en a besoin. (…)
Editions Salvator. Mars 2018
Laurence Cossé est auteure de nombreux romans, essais et nouvelles publiés chez différents Éditeurs depuis 1981.Elle a également écrit pour le théâtre.
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