Festival de Fez (Maroc) de la Culture Soufie.

16 novembre 2021

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 Table ronde, 15 octobre 2021

«  La poésie et la littérature, un éveil à la dimension spirituelle »
 
 
          C’est le thème de la table ronde à laquelle Écritures & Spiritualités a participé  (en visioconférence) en tant que partenaire. Les deux auteures de l’association Karima Berger et Isaline Dutru ont évoqué leur expérience spirituelle de lecture et d’écriture et l’ont partagée avec d’autres intervenants issus de différentes traditions. Fawzi Skali, directeur du festival de Fez et auteur de nombreux essais imprégnés de la culture soufie qui est la sienne, Ghaleb Bencheikh, théologien, écrivain et président de la Fédération de l’Islam de France et Nourredine Bouimejane, chercheur etpoète.


            Fawzi Skali a manifesté en premier lieu tout son intérêt pour la vocation originale de notre association. Puis il a ouvert la table ronde par cette question redoutable : Quel livre est spirituel et lequel ne l’est pas ?

C’est une question en effet incessante, que nous avons déjà rencontrée souvent notamment dans le cadre du jury de E&S. « C’est au lecteur, dit Karima Berger, de le dire et cela dépend de son état, de son orientation : est-il lui-même dans sa vie relié à cette vie spirituelle ou non. Ce n’est pas à l’auteur de déclarer son livre « spirituel », seul, le lecteur est ici,  souverain. Je crois aussi qu’à partir du moment où il y a beauté, le livre touche à quelque chose d’indicible, de sacré ».

           Pour Karima Berger, il y a une sorte d’unité entre la table de l’écrivain et l’écriture de la lettre (poétique, romanesque ou philosophique) d’une part et d’autre part le lutrin sur lequel on lit let on médite l’Ecriture, la lettre du Livre. Et entre les deux il y a l’être humain qui s’exprime par le langage, le verbe, la lettre… entre ces trois « lieux », circule le lettre, telle un cercle vertueux.
            Ne jamais oublier  aussi dit-elle que c’est par des textes que les révélations monothéistes ont été offertes au monde. Cela marque à jamais notre façon de lire, d’écrire, de parler et d’entendre.

Prenons l’exemple de Tardjuman el achwaq. L'interprète des ardents désirs : c’est le titre que le shaikh Ibn Arabi donne à l’ouvrage qu’il dédie tout entier à la beauté incarnée par une jeune fille Nizâm (Harmonie) rencontrée lors d’un de ses pèlerinages à la Mecque. Au premier abord, il s’agit d’une « banale »  rencontre amoureuse. Pourtant le shaikh, en composant ce recueil de poésies, veut nous conduire plus loin que le « simple » désir d’une jeune femme. Il choisit pour dire son ardent désir le langage de la poésie « afin, dit-il, que les âmes s’éprennent de ces modes d’expression », car les âmes pour goûter leur seigneur doivent d’abord être imprégnées des « modes d’expression de l’amour ». De fait, il nous dit que la poésie est l’organe même de l’expérience spirituelle.


 Nous nous sommes aussi interrogés sur les liens qu’opèrent les grands textes

des traditions religieuses - La Thora, Le Coran, Les Évangiles - et le travail de création des auteurs. Tous les intervenants ont mis l’accent sur le fait que « le poète n’est pas toujours conscient des sources qu’il met au jour et n’est pas forcément à même de toutes les identifier ». Car les Écritures ont agi sur des millénaires, « elles ont irrigué le travail de la pensée et celui du romancier… Et ces sources sont activées un jour dans le travail d’écriture »… mystérieusement. Et c’est précisément ce mystère que le lecteur est invité à accueillir. Si l’écriture se comparait à l’eau, on comprendrait que « l’eau se colore toujours du vase qui la porte ».

Mais qui est poète ? Nous l’avons comparé à un médium au milieu de la société des hommes. Quelquefois il est nous apparu comme le voyant, le prophète, porteur d’une parole nouvelle. Mais le paradoxe qu’il nous faut accepter est qu’il n’est pas  nécessaire d’être croyant pour être saisi par le souffle, par l’inspiration car le vent souffle où il veut.

Isaline Dutru a évoqué ses compagnonnages d’auteurs :  notamment Baudelaire lorqu’il évoque le travail du poète, transformant « la boue en or », Victor Hugo et aussi, plus proches de nous, Claude Vigée. Elle a su faire surgir ce travail d’alchimie que le poète accomplit, à l’image de Baudelaire qui transforme par l’écriture poétique « la boue en or » et qui dans Les phares s’écrie : 

« Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité ! »

Nourredine Bouijemane,  a lu un de ses poèmes : Au-dessous de la poésie

« Âgé d’une éternité d’amour

Au royaume de la poésie

Sa doxa joignant à l’hérésie

Je n’ai pas trouvé de troubadour

à même d’inventer une rime

digne de ton visage sublime ».

Ghaleb Bencheikh, dans son mot de la fin, nous a donné cet aphorisme : « Dieu préférerait qu’on vienne à sa rencontre le jour du jugement dernier en cherchant après lui qu’ayant cru en lui tout en le méconnaissant »…

Au fond, qu’est-ce que la poésie et la littérature si ce n’est l’éveil à la dimension spirituelle, si ce n’est le désir de la rencontre ? Avec l’Autre et le Tout-Autre ?

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